IN MEMORIAM : Mélanie

Je suis née le 27 mars 1982 à Thonon un peu en avance.

Mes parents, Annie et Thierry sont « aux anges ». Je connaissais leurs voix, il ne me restait qu’à découvrir leurs visages. J’ai un petit poids et je suis dans la limite inférieure des courbes du carnet de santé. Je dors beaucoup. Je suis plutôt sage dans les premiers mois de ma vie, jusqu’au moment où un jeune pédiatre soupçonne des comportements inhabituels, les premiers signes de la maladie se manifestent. Je marche pourtant à 18 mois mais de façon « bizarre ». J’ai dit « maman » à 5 mois et « papa » à 6. Je fais mes dents comme tout un chacun mais je ne parle pas. Et puis ensuite tout se dégrade. Mes parents s’interrogent, ils consultent le corps médical. Malgré toutes les consultations, aucun diagnostic n’est posé.

Retard de développement, vision déficiente, semelles orthopédiques, langage très pauvre, cris fréquents et acquisitions compliquées. Je vous passe les contrôles, les examens, les autres radios et scanners, etc… pour le restant de ma vie. Je ne sais pas jouer. Les poupées ne m’intéressent pas, le ballon non plus, mais j’aime la musique et je suis dure au mal.

Je vais à la maternelle de La Chapelle un matin par semaine, où mes instituteurs sont désemparés devant le handicap. Je ne parle toujours pas. J’aime bien l’école mais je ne participe à aucune activité avec les autres enfants. Le décalage avec les autres enfants rend la situation impossible. Mes parents se retrouvent seuls sans solution d’accueil. Il faut faire face à la stigmatisation du handicap et aux préjugés, et pourtant mes parents n’y peuvent rien. Le reste du temps je suis en observation en hôpital de jour. Cela occasionne de nombreux aller-retour dans la journée car je dois rentrer à la maison tous les soirs.

Je suis ensuite dirigée sur une structure plus spécialisée à St Cergues près d’Annemasse. Ouf, un peu de répit pour mes parents si je puis dire. Le médecin référent de l’hôpitaL avait suggéré à mes parents de « m’abandonner », de m’oublier et de faire un autre enfant. Je suis classée dans la « case autisme », la maladie fourre-tout de l’époque. Stéréotypie des mains, marche désaxée, déformation vertébrale qui amènera au port d’un corset buste durant plusieurs années. Je ne fais aucun progrès. Mes parents tentent de nouvelles expériences. « Tomatis » à Genève en 1988 et « Patterning » à Barcelone (Espagne) avec des médecins américains en 1990. Des volontaires bénévoles viennent à la maison pour m’aider à faire divers exercices.

Maman attend un bébé. Chic, j’aime bien les bébés que j’approche au plus près pour les regarder dans leurs berceaux. Je ne parle toujours pas sinon quelques sons sans signification!

1991 – Je monte à Paris pour des troubles graves de la personnalité. Le médecin est un « disciple » du professeur Rett. Il met des mots sur ma maladie, je suis atteinte du syndrome de Rett de forme atypique (c’est une maladie orpheline rare qui se manifeste par une régression des acquis entre 12 et 24 mois ,  elle touche principalement les filles, 1 naissance sur 10  à 15000) provoque un handicap mental et des atteintes motrices sévères. Je suis poly-handicapée.

Le professeur Andréas Rett a dit en 1963 : « Leurs yeux parlent, je suis sûr qu’elles comprennent tout mais elles ne peuvent rien faire de cette compréhension. Elles sont très sensibles à l’amour, il existe bien des mystères, l’un d’entre eux se trouve dans leurs yeux ».

En effet, beaucoup d’échanges visuels entre nous. Content, pas content, j’aime, j’aime pas, etc… Je regarde beaucoup autour de moi. Les aménagements successifs dans le jardin ou la maison m’intéressent énormément.

Ma petite sœur, Charlène, arrive en juillet 1991, tranquillement. Une complicité s’installe entre nous. Et je ne parle toujours pas…. mes parents se disent, pourvu qu’elle grandisse normalement, un an , deux ans,….ça y est on a passé le cap.

1999-La cyphose-scoliose-lordose s’amplifie, je n’ai pas la puissance musculaire pour me redresser, je fais bronchite sur bronchite. Je suis opérée du dos pour me permettre de bien respirer et éviter les pneumopathies à répétition. Une tige rigide est « soudée » sur mes vertèbres depuis les cervicales jusqu’au coccyx. Je sors de l’hôpital, je respire à nouveau la vie à plein poumons.

2000-maman est rattrapée par la maladie. Papa va s’occuper de Charlène qui a 9 ans et moi 18. Papa tu as tenu, pour moi, pour Charlène, nous avions notre langage visuel, cette relation c’était la nôtre, unique, pleine d’amour.

Mes activités sont limitées. Je marche plutôt bien, quand j’en ai envie et bien accompagnée. Lac d’Arvouin plusieurs fois, Trebentaz sur le dos de papa, col des Portes du Soleil, lac Vert sous Mossettes, entre autres promenades plus faciles. Je pars en vacances avec papa, maman et Charlène en bords de mer. Martigues, Molliets et Maa, ile d’Oléron, le Cap d’Agde. J’aime toucher l’eau, le sable qui glissent entre mes doigts. Tripoter autre chose que mes vêtements avec les bouchons plastiques.

2005-Pour ouvrir mon champ d’activités, Papa se forme au tandemski. Je kiffe cette activité l’hiver, je découvre le bonheur de dévaler les pentes en fauteuil à ski. Mes copains d’Annemasse sports Handicap découvrent aussi avec papa les joies de la glisse.

Sensibiliser à cette cause, Charlène en 2012 et Kevin en 2014 se forment à leur tour pour accompagner les personnes dépendantes de la région et les emmener découvrir la montagne vue d’en haut.

Et puis l’été, je fais de la joelette (chaise à porteur avec roue) et du Cimgo (fauteuil 4 roues tous terrains sans moteur, pouvant utiliser les remontées mécaniques) toujours avec les copains d’Annemasse Sports Handicap et du Secours en Montagne. Je sors par tous les temps, si je veux ! Question santé, je vais relativement bien. Je rentre de Saint Cergues toutes les 2 semaines à la maison et j’aime bien me coller à Charlène et Papa dans le canapé. Ça n’a pas été toujours le cas étant plus jeune.

2015- Charlène et Kévin ont fait de moi une « tata ». Lucie est arrivée en décembre. Désormais je m’appelle « tata Mel ». Lucie m’apporte de l’énergie, elle court et saute partout, je joue comme je peux avec elle, elle sait que je suis différente mais s’en moque, elle m’aime et c’est le plus important. Elle me raconte des histoires, me donne des bonbons et chocolats en cachette. M’invite pour des Noêl en famille et j’adore.

2019-année COVID. Mon état se dégrade. Est-ce dû au COVID ? Je ne souris plus. Les escaliers deviennent de plus en plus difficiles à monter ainsi que la marche plus lente. Je fais des crises « d’épilepsie ». Jamais vu dans cette maladie à cet âge ! Mes jambes ne me supportent plus et je tombe sur les genoux ou bascule, en avant, en arrière comme une planche. Cela m’occasionne de nombreuses plaies et points de suture à la tête et de nombreuses ecchymoses. Désormais, je vis avec un casque pour prévenir les impacts en cas de chute. Jusque-là, mes « absences », Pâleurs, lèvres bleues, yeux révulsés la plupart du temps, durent quelques minutes, je retrouve mes esprits et je cherche à me relever.

Papa a encore des projets plein la tête pour répondre à mes besoins : une rampe extérieure pour accéder en fauteuil dans la maison, abattre une cloison pour me véhiculer plus facilement à l’intérieur de la maison.

Puis le 7 octobre, la dernière chute fut celle de trop, je suis transportée aux urgences de l’hôpital de Thonon, puis aux hôpitaux universitaires de Genève vu la gravité.

Je rejoins maman le 9 octobre.

Je n’aurai pas dû dépasser les 20 ans d’après les diagnostics, j’ai fait 22 ans de rab.

Je remercie tous ceux qui de près ou de loin, m’ont apporté sécurité, protection, joie, amour.

Au revoir Papa, mamie Gisèle, Charlène, Kévin, Lucie et les autres, je vous aime !

Je m’appelle Mélanie et j’avais 42 ans !